CJCE : Vers une définition Juridique de l’Embryon ?

CJCE

S’approcherait-on enfin d’une définition juridique de l’embryon ? C’est du moins ce qu’il est permis d’espérer au vu des conclusions de l’Avocat Général de la CJCE rendues en mars dernier dans l’affaire C34/10.

Pour mémoire, la Directive 98/44/CE, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, exclut explicitement l’utilisation d’embryons humains à des fins commerciales ou industrielles (article 6(2c)). Les questions que pose la Cour de Justice allemande à la CJCE reviennent à définir les notions d’embryon et de cellules pluripotentes afin d’en déterminer les conséquences juridiques.

L’Avocat Général propose donc à la CJCE d’interpréter la Directive 98/44/CE comme suit :

  • « La notion d’embryon humain s’applique dès le stade de la fécondation aux cellules totipotentes initiales et à l’ensemble du processus de développement et de constitution du corps humain qui en découle. Il en est ainsi, notamment, du blastocyste.
  • Les ovocytes non fécondés, auxquels a été implanté le noyau d’une cellule humaine mature ou qui ont été induits à se diviser et à se développer par parthénogénèse, relèvent également de la notion d’embryon humain dans la mesure où l’utilisation de ces techniques aboutirait à l’obtention de cellules totipotentes.
  • Prises individuellement, les cellules souches embryonnaires pluripotentes, parce qu’elles n’ont pas, à elles seules, la capacité de se développer en un être humain, ne relèvent pas de cette notion.
  • Une invention doit être exclue de la brevetabilité lorsque la mise en œuvre du procédé technique soumis au brevet requiert, au préalable, soit la destruction d’embryons humaines, soit leur utilisation comme matériau de départ, même si la description de ce procédé ne contient aucune référence à l’utilisation d’embryons humains ».

Par ces conclusions, l’Avocat Général rejoint la position de l’OEB (décision G2/06), sur l’impossibilité de délivrer un brevet pour une invention utilisant des cellules issues de cellules souches embryonnaires au motif qu’elles ne pouvaient être obtenues que par la destruction d’embryons humains.

Ces définitions impliquent qu’il ne sera pas possible d’obtenir un brevet, en Europe, sur un traitement utilisant des cellules souches embryonnaires, même si ces cellules sont des lignées qui ne proviennent pas d’un embryon détruit, pour peu qu’elles aient impliqué la manipulation d’un ovocyte.

On notera toutefois qu’il existe depuis 2007 une autre manière de produire des cellules souches pluripotentes humaines, consistant à utiliser une cellule mature et à la transformer artificiellement en cellule souche pluripotente (IPSCs) grâce à différents modes d’induction, utilisant notamment des oncogènes, des rétrovirus ou un cocktail protéique. Ayant les mêmes capacités de différenciation que les cellules souches embryonnaires, ces IPSCs représentent un formidable espoir pour la médecine humaine, sans soulever les problèmes éthiques de la manipulation d’embryons. Toutefois, de récentes études ont démontré que ces cellules pluripotentes, une fois transplantées, avaient tendance à former plus facilement des tumeurs chez le cobaye ou présentaient une efficacité bien moindre que les cellules issues d’embryons ou d’ovocytes modifiés (I. Gutierrez-Aranda and al., Stem Cells, 2010). De plus, contrairement aux cellules souches embryonnaires, les IPSCs ne peuvent se différencier en n’importe quel type cellulaire et ne constituent donc pas une solution de remplacement idéale.

Privée du retour sur investissement que représente le brevet, la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines risque de décliner en Europe, au profit sans doute de l’amélioration de celle sur les IPSCs. Toutefois, si les barrières biologiques ne sont pas surmontées dans le cas des IPSCs, que va-t-il advenir du potentiel thérapeutique que représente les cellules souches embryonnaires ? À nouveau, l’imbrication de la logique économique, du progrès scientifique et des considérations éthiques s’illustre au travers de l’application du droit de la propriété industrielle aux inventions biotechnologiques.