Régime spécial : une nécessité pour les marques de médicaments ?

Medecin

Régime spécial : une nécessité pour les marques de médicaments ?
Essai clinique, procédure AMM et usage sérieux d’une marque

 

Les marques de médicaments doivent-elles bénéficier d’un régime spécial lorsqu’il s’agit d’apporter la preuve de leur usage sérieux ?

 

 

 

(Image libre de droit issue de la base de données pxhere.com)

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) confronte sa jurisprudence traditionnelle au cadre – toujours particulier – de l’appréciation de l’usage sérieux d’une marque de médicaments.

Traditionnellement, la jurisprudence a établi un certain assouplissement à la condition de l’usage sérieux d’une marque, celui-ci pouvant être reconnu pour des produits et services dont la commercialisation n’est pas encore effective mais imminente (CJCE, Ansul, 11 mars 2003, C-40/01).

En outre, il a déjà été précisé que seuls des obstacles qui présentent une relation suffisamment directe avec une marque rendant impossible ou déraisonnable l’usage de celle-ci et qui sont indépendants de la volonté du titulaire de cette marque peuvent être qualifiés de « justes motifs » pour le non-usage de celle-ci.

L’appréciation se réalise au cas par cas, la stratégie du titulaire pour contourner l’obstacle considéré pouvant notamment rendre « déraisonnable » l’usage de ladite marque (arrêts du 14 juin 2007, Häupl, C‑246/05, point 54, et du 17 mars 2016, Naazneen Investments/OHMI, C‑252/15 P, non publié, point 96).

Or, dans le cas d’espèce, l’utilisation d’une marque dans le cadre d’un essai clinique en lien avec une demande d’AMM ne semble pas pouvoir bénéficier de l’exception.

La Cour considère en effet que cette « utilisation » ne peut être « assimilée à une mise sur le marché ni même à un acte préparatoire direct, mais devait être considérée comme étant de nature interne, car elle s’était déroulée hors de la concurrence, au sein d’un cercle restreint d’intervenants, et sans viser à obtenir ou à conserver des parts de marché ».

Si la réalisation d’un essai clinique peut constituer un motif pour le non-usage d’une marque, il convient de l’argumenter concrètement :

  • un délai court de lancement de la réalisation des essais,
  • et des moyens suffisants accordés auxdits essais,

constituent des arguments de poids.

Le titulaire de la marque aurait également pu faire valoir l’existence d’autres actes préparatoires à la commercialisation, cette fois-ci clairement dirigés à l’attention du public final.

– Les campagnes publicitaires : actes préparatoires les plus recherchés ! –

On peut alors s’interroger sur la nature et les caractéristiques de ces usages « extérieurs », ceux-ci pouvant fortement varier en fonction de la définition qui pourrait ici être donnée à ce « futur public » : patients, médecins généralistes ou spécialistes, chercheurs, etc. (le médicament en question est destiné au traitement de la sclérose en plaques).

Cependant, la jurisprudence relative à la « commercialisation imminente » à laquelle se réfère la Cour :

– s’applique quel que soit le type de produits ou services concernés, et donc indépendamment des spécificités du public ciblé ;

– et surtout identifie les campagnes publicitaires comme l’acte préparatoire le plus à même de conforter l’existence d’une commercialisation imminente et – par ce biais – de démontrer un usage sérieux.

En l’espèce, rappelant qu’« un médicament dont la mise sur le marché n’a pas encore été autorisée ne peut même pas faire l’objet d’une publicité destinée à obtenir ou à préserver une part de marché », la Cour considère que le titulaire de la marque ne peut vraisemblablement pas se prévaloir d’actes préparatoires justifiant une commercialisation imminente, et ce quand bien même les procédures d’AMM seraient déjà largement engagées.  

– L’essai clinique comme juste motif au non-usage ! –

A titre subsidiaire, ce même titulaire avance que si la réalisation d’un essai clinique nécessaire à l’obtention de l’AMM ne peut être assimilée à elle seule à un acte préparatoire, son caractère obligatoire pourrait à tout le moins constituer un juste motif pour le non-usage de la marque.

Il est intéressant de noter que la Cour ne s’oppose pas à cette démonstration puisqu’elle confirme bien que « la réalisation d’un essai clinique peut constituer un motif pour le non-usage d’une marque ».

Pour rejeter ce second moyen, elle met cependant en avant les conditions de réalisation effective de cet essai clinique :

– sa demande de réalisation est intervenue plus de 3 ans après l’enregistrement de la marque ;

– sa date d’achèvement reste incertaine du fait des faibles investissements financiers consentis par le titulaire.

Ainsi, « l’écoulement du temps entre, d’un côté, les dates de demande et d’enregistrement de la marque contestée et, de l’autre côté, la date de lancement de l’essai clinique ainsi que la durée de celui-ci et les moyens financiers consentis aux fins de sa réalisation rapide relevaient, en principe, de la sphère de responsabilité du titulaire ».

En d’autres termes, le titulaire disposait bien d’une certaine marge de manœuvre pour réduire la durée de cet essai et ainsi obtenir rapidement une AMM ouvrant la voie à une commercialisation. La condition principale au juste motif pour non-usage, à savoir l’identification d’un obstacle indépendant de la volonté du titulaire, n’est donc pas avérée en l’espèce.

En conclusion, on peut s’interroger sur la nécessité d’un régime spécifique pour la preuve de l’usage sérieux des marques de médicaments.

La question n’est pas d’allonger, pour ce type de marques, la période initiale durant laquelle elles ne sont pas soumises à obligation d’usage (actuellement la règle générale est de 5 ans à compter de l’enregistrement dans l’Union).

Par ailleurs, considérer la poursuite obligatoire de tests cliniques comme un juste motif au non-usage ouvre la porte à de possibles détournements comme l’a justement souligné la Cour dans ce cas d’espèce : un déclenchement trop tardif de ces tests et/ou un soutien financier trop faible suffiront à les maintenir en l’état et dès lors justifier un non-usage.

Plutôt faudrait-il faciliter la preuve d’une commercialisation imminente, notamment en considérant que le lancement (sérieux & non tardif) d’une procédure d’AMM peut constituer un acte préparatoire légitime.

N’hésitez pas à nous consulter, nous sommes à votre disposition pour analyser la pertinence de vos modalités d’usage dans l’Union, et à l’International, et vous assister dans la collecte et la sauvegarde desdites preuves.

L’arrêt en question est disponible via le lien suivant :

http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=215761&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=862304

Références : CJUE, 4ème Chambre, affaire n° C-668/17 P, 3 juillet 2019

Anaël DUVAL

Juriste spécialisé en PI

Soazig THEMOIN
Associée

CPI, Mandataire Européen en Marques et Modèles