Brevet de médicaments en Inde – Une situation complexe

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Avec une population d’1,2 milliard, l’Inde représente aujourd’hui environ 17,5% de la population mondiale. A l’image de son économie, la population indienne croît à un rythme régulier et soutenu. Et alors que la croissance du marché pharmaceutique est à la peine en Occident, la conquête du marché indien revêt une importance stratégique pour les entreprises pharmaceutiques.

Or, la relation unissant Propriété Industrielle et industrie pharmaceutique en Inde n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Tout d’abord, rappelons que la Loi sur les Brevets et Modèles de 1911 comprenait des dispositions autorisant les brevets de produit et de procédé dans le domaine pharmaceutique. Dans la pratique, ces dispositions bénéficiaient surtout aux entreprises étrangères. Or, sans système d’assurance maladie, l’accès aux soins pour une grande partie de la population indienne était devenu problématique. Pour résoudre ce problème, un amendement à la Loi sur les Brevets de 1970 a limité le champ de la brevetabilité dans le domaine pharmaceutique aux seuls procédés, et ce pour une durée maximale de 7 ans. L’entrée en vigueur de cet amendement a par ailleurs permis la croissance qu’on connaît de l’industrie du médicament générique en Inde, faisant de ce pays l’un des plus gros fournisseurs de génériques pour les pays en développement ou sous-développés.

Toutefois, l’adhésion de l’Inde à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) en 1995 impliquait elle même une adhésion aux accords ADPIC (Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce). L’Inde a alors été contrainte d’harmoniser sa législation en la matière avec les pratiques internationales. C’est ainsi que l’Inde est revenue sur son amendement de 1970 afin d’autoriser à nouveau les brevets de produits, y compris ceux portant sur les médicaments. Ce nouveau système en place depuis 2005 comprend cependant à la fois d’importantes limitations à la délivrance de brevet sur des produits pharmaceutiques et des critères d’acception larges concernant l’octroi de licences obligatoires, ce qui a occasionné de nombreux débats juridiques.

La décision de 2013 de la Cour Suprême Indienne dans l’affaire opposant Novartis A.G. vs Union of India1 permet d’illustrer la situation. Cette décision portait sur un contentieux à propos d’une demande de brevet portant sur le Gleevec®, un sel spécifique du composé Imatinib® déjà breveté par ailleurs. Le Gleevec® présente en effet des propriétés anti-tumorales très intéressantes. Ceci étant, l’Imatinib®, ses sels ainsi que les propriétés anti-tumorales particulières étaient déjà couverts par le brevet initial. Par ailleurs, Novartis avait justement utilisé le brevet de l’Imatinib® pour obtenir l’AMM sur le Gleevec®. Cet argument avait d’ailleurs été retenu par la Cour Suprême Indienne pour refuser la demande de brevet sur ce dernier au motif que le Gleevec® avait déjà été protégé par le brevet antérieur et qu’il n’était donc plus protégeable conformément à la section 3(d) de la Loi sur les Brevets de 2005 (activité inventive). En réponse, Novartis avait alors tenté d’argumenter – en vain – que le Gleevec® avait en effet été divulgué de manière générique mais non spécifique par le brevet portant sur l’Imatinib®, argument qui avait permis la délivrance d’un brevet en Europe et aux Etats-Unis notamment. Un autre argument de Novartis était que la Cour Suprême faisait une interprétation trop sévère du critère d’activité inventive telle que spécifiée dans les ADPIC. En conséquence de quoi, le débat s’est porté sur la légalité de la section 3(d) de la Loi sur les Brevets de 2005 au vu de ces accords. Compte tenu de ce débat, et de beaucoup d’autres, au cours duquel la Cour Suprême Indienne n’a pas suivi le raisonnement de Novartis, l’Office Indien de la Propriété Intellectuelle a émis en octobre dernier des Directives pour l’Examen des demandes de brevet dans le domaine pharmaceutique. Ces Directives énoncent de nombreux principes généraux. Toutefois, ces Directives ne permettent pas de répondre complètement aux nombreuses questions que se posent les acteurs de l’industrie pharmaceutique, et de nouvelles discussions et jurisprudences sont donc à prévoir dans les années à venir.

 

1Appel Civil n°2706-2716 of 2013, Novartis A.G. vs Union of India & Others: All India Reporter 2013 SC 1311.