Article affaire Lufthansa

Arrêt du 24 février 2023- Cour D’Appel de Paris- Décision n° RG 20/18820

La Cour d’Appel de Paris a rendu, le 24 février 2023, un arrêt concernant une affaire internationale portant sur un brevet de la société Lufthansa Technik AG. Cette décision met en évidence la nullité du brevet pour défaut d'activité inventive.

Le brevet portait sur un dispositif d’alimentation électrique pour mettre à disposition une tension d’alimentation pour des appareils électriques dans la cabine d’un avion. Les litiges relatifs à cette affaire ont abouti à des décisions différentes dans chaque pays impliqué, dont la France.

Dans cette affaire, la société Lufthansa Technik AG agissait en contrefaçon sur la base de la partie française de son brevet européen EP 0881 145 contre les sociétés Astronics Advanced Electronic Systems, Panasonic Avionics Corporation et Thales Avionics Inc.

Objet du Brevet invoqué

Le Brevet invoqué par Lufthansa concerne spécifiquement les dispositifs d’alimentation électrique pour des équipements électriques à bord d’un avion, permettant aux passagers d'utiliser leurs propres appareils électriques.

L’invention objet du Brevet porte sur un dispositif d'alimentation électrique pour les sièges d'avion, doté d'un système de détection permettant de fournir une tension d'alimentation uniquement lorsque deux broches de la fiche électrique sont insérées simultanément dans la prise.

Le problème résolu par l’invention concerne la protection contre des décharges accidentelles dues à l’insertion d’objets dans la prise de courant, notamment par des enfants.

La revendication 1 du brevet portait ainsi sur un dispositif d’alimentation électrique muni d’un détecteur de fiche configuré pour détecter la présence de deux broches de la fiche dans la prise de courant, la tension d’alimentation n’étant délivrée au niveau de la prise de courant que lorsque la présence de deux broches de la fiche est détectée simultanément.

La revendication 2 du brevet précisait que la tension d’alimentation n’est délivrée que lorsqu’une durée de contact maximale n’a pas été dépassée entre la détection de la première et de la deuxième broche de la fiche.

Procédures étrangères

Ce litige a précédemment fait l’objet de plusieurs autres procédures dans différents pays.

Allemagne

En Allemagne, Lufthansa a engagé une action en contrefaçon de la partie allemande du brevet devant le Landgericht de Mannheim à l’encontre de la société Astronics AES. Parallèlement, la société Astronics AES a formé une action en nullité de la partie allemande du même titre devant le Bundespatentgericht, lequel a par décision du 18 décembre 2013, annulé la revendication 1 pour défaut d’activité inventive mais rejeté la demande de nullité s’agissant de la revendication 2. Lufthansa a ainsi maintenu le brevet sous une forme modifiée en combinant les revendications 1 et 2.

Le Landgericht de Mannheim a condamné Astronics AES pour contrefaçon du brevet maintenu sous forme modifiée et cette décision a été confirmée en Appel.

Royaume Uni

Au Royaume-Uni, Lufthansa a également engagé une action en contrefaçon de la partie britannique du brevet devant la High Court of Justice.

Les revendications 1 et 2 ont été jugées valides et contrefaites par décision du 22 juillet 2020. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la Cour d’Appel de Londres le 14 janvier 2022.

USA

La société Lufthansa a également initié une action en contrefaçon aux USA sur la base de son brevet américain US 6016016 couvrant la même invention.

Le brevet américain a été annulé pour insuffisance de description par décision du 20 juillet 2016 conformée en appel par un arrêt en date du 19 octobre 2017.

Raisonnement suivi par la Cour d’Appel de Paris

En France, la Cour d’Appel a confirmé un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 4 décembre 2020, selon lequel le Brevet opposé par Lufthansa est nul, notamment, du fait d’un défaut d’activité inventive des revendications  1 et 2.

La Cour d'Appel de Paris a annulé la revendication 1 du brevet pour défaut d'activité inventive, se basant sur une combinaison de deux documents de l'état de l'art. Ce raisonnement suit l'approche classique de l'Office Européen des Brevets, connue sous le nom d'approche "problème-solution". Les décisions rendues en Allemagne et au Royaume-Uni dans la même affaire ont présenté des résultats divergents quant à la validité de la revendication 1, principalement en raison d'interprétations différentes de certains termes utilisés.

Il est intéressant de noter que l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris se démarque par contre des décisions rendues en Allemagne et au Royaume-Uni concernant la validité de la revendication 2.

En effet la revendication 2 a été annulée pour défaut d’activité inventive sur la base de deux autres documents, différents de ceux invoqués à l’encontre de la revendication 1,  dont l’un a été produit par la société Thales Avionics qui n’était partie qu’à la procédure française et non aux autres procédures européennes.

On relèvera que la Cour d’Appel a conclu que la revendication 2 ne spécifiant aucun moyen technique particulier pour mettre en œuvre la fonction consistant à délivrer une tension d’alimentation uniquement lorsqu’une durée de contact maximale n’a pas été dépassée entre la détection de la première et de la deuxième broche de la fiche.

En conséquence, elle a considéré que la revendication 2 n’impliquait aucune activité inventive vis-à-vis d’un document divulguant la même fonction d’évaluation d’un critère de temporisation entre la détection des deux fiches de la broche, mais par le biais de moyens différents (des moyens mécaniques en lieu et place de moyens électroniques de détection décrits (mais non revendiqués) dans le Brevet de Lufthansa).

Pour justifier ce raisonnement, la Cour a notamment indiqué que, si les moyens pratiques de mise en œuvre du critère de temporalité de la revendication 2 ne sont pas enseignés par les documents antérieurs, le brevet EP 145 ne les décrit pas plus.

Elle poursuit en concluant que le document d’art antérieur produit par la société Thales Avionics contient un enseignement incitant l’Homme du métier à intégrer un critère de temporisation, indépendamment des moyens de mise en œuvre qui relèvent de l’activité ordinaire de l’homme du métier.

Conclusion

A l’approche du lancement de la Juridiction Unifiée des Brevets qui aura lieu le 1er juin 2023, cette affaire illustre la divergence des décisions dans plusieurs juridictions européennes (France, Allemagne et Royaume Uni) s’agissant de la validité d’un même titre. L’introduction de la JUB pourrait contribuer  à éviter de telles divergences, pour les pays parties à l’accord JUB (qui n’incluent pas le Royaume-Uni).

Les Conseils en Propriété Industrielle du Groupe Vidon se tiennent à votre disposition pour vous conseiller au mieux pour toute question relative au contentieux français ou européen en matière de brevets.