Le dessin et modèle communautaire ne sera bientôt plus, Vive le dessin et modèle de l’Union Européenne !

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Le « paquet » modèles est adopté, le Règlement et la Directive ont été publiés.

La réforme, prévue par les textes ci-dessous sera appliquée pour les nouveaux dépôts à compter du 1er mai 2025 pour partie et au 1er juillet 2026 pour le reste des dispositions.

  • Règlement (UE) 2024/2822 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024 modifiant le règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèles communautaires et abrogeant le règlement (CE) n° 2246/2002 de la Commission (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE) –http://data.europa.eu/eli/reg/2024/2822/oj

Une transposition par les États Membres est programmée pour au plus tard décembre 2027 :

  • Directive (UE) 2024/2823 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024 sur la protection juridique des dessins ou modèles (refonte) (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE) –http://data.europa.eu/eli/dir/2024/2823/oj

La réforme des dessins et modèles de l’UE est à l’étude depuis le 25 novembre 2020 avec pour objectif de rajeunir, harmoniser et moderniser le système des modèles communautaires, mis en place il y a plus de 20 ans, à une époque où le numérique ne s’était pas imposé comme un outil incontournable.

Quels sont les principaux points d’évolution de cette refonte ?

Les objectifs initiaux de cette réforme étaient de :

  • Faciliter l’accès à la protection et la rendre plus efficace, tout en uniformisant les législations des pays membres ;
  • Prendre en compte la modernisation des moyens de communication et l’évolution technique présente dans notre vie quotidienne notamment à propos des supports et des produits numériques ;
  • Lutter contre la contrefaçon
  • Favoriser l’économie durable.

1/ Faciliter l’accès à l’enregistrement et à la protection :

  • Il sera possible de déposer un modèle multiple, même si les différents modèles ne relèvent pas de la même classe de Locarno. Cela permettra de bénéficier d’une dégressivité des taxes (art. 27 de la Directive). Toutefois, le texte adopté prévoir une limitation à 50 modèles au sein d’une même demande quand il n’y a pas de limite actuellement au nombre de modèles déposés au sein d’une demande multiple.
  • Il sera possible d’accorder une « date de dépôt » même s’il existe des lacunes dans la représentation formelle du dessin ou modèle, à condition que la représentation du dessin ou modèle soit suffisamment claire pour déterminer l’objet de la protection (art 25.c de la Directive).
  • Il sera possible de modifier des vues déposées, à la condition que les différences soient insignifiantes ; cette modification peut être effectuée dans le cadre de réponses à objection mais aussi à tout moment, même si le DM est déjà enregistré ;
  • L’ajournement de publication peut être sollicité au moment du dépôt pour une durée maximale de 30 mois (courant à partir du dépôt ou de la date de priorité revendiquée), le titulaire pourra aussi choisir de le faire publier sans devoir attendre la fin de la période ( 30 de la Directive). Modification : A l’issue des 30 mois le modèle sera publié automatiquement, sauf renonciation expresse du titulaire. Les États membres pourront prévoir, à contrario, que la publication nationale n’intervienne qu’à la demande du titulaire.
  • Le dessin et modèle communautaire disparaitra au profit du dessin et modèle de l’Union Européenne. Il s’agit d’un nouvel élément de l’harmonisation avec le droit des marques ;
  • Dans l’article 36.4 du règlement il n’est fait mention que d’une taxe de dépôt et d’une taxe d’ajournement pour les cas où celui-ci est demandé. La taxe de publication a disparu. La taxe de dépôt est fixée à 350€ pour le premier modèle et 125€ par modèle supplémentaire en cas de demande multiple. Lors des discussions préalables, la fusion des taxes de dépôt et de publication a été évoquée dans le but de réduire le montant global des taxes à acquitter. Mais les États membres ont bataillé afin que le montant des taxes pour un dépôt national reste inférieur à celui d’un dessin et modèle de l’UE. Si l’on compare les taxes actuelles et celles prévues au futur règlement, les taxes pour le dépôt et la publication d’un modèle unique restent identiques (350€), les couts baissent de 50€ pour chaque modèle suivant.

Cependant, comme la dégressivité à partir de 11 modèles n’existe plus et que le nombre de modèle a été plafonné à 50 au sein d’une même demande, les coûts sont plutôt à la hausse pour les dépôts en grand nombre (80€ actuellement au-delà du 11ème modèle). Il est aussi à noter que les coûts d’un ajournement seront plus élevés, car il faudra acquitter la taxe de dépôt (qui additionne les actuelles taxes de dépôt ET de publication) et la taxe d’ajournement, soit 390€ ; alors qu’actuellement les taxes pour un dépôt ajourné s’élèvent à 270 €.

  • Des procédures administratives nationales en matière d’invalidité sont envisagées, toujours dans l’optique d’harmoniser les procédures entre les marques et les dessins et modèles. Cependant, le texte adopté indique (art. 31.1 de la Directive) que les États Membres peuvent prévoir une procédure administrative efficace et rapide devant leurs services compétents concernant la déclaration en nullité́ de dessins ou modèles enregistrés
  • Les États membres auront la possibilité de refuser la protection d’un modèle reproduisant, en totalité ou partiellement, des éléments appartenant au patrimoine culturel des États membres qui présentent un intérêt national ou des signes, emblèmes ou armoiries spécifiques (autres que ceux visés par l’article 6 ter de la CUP) – (art.13 de la Directive). Et, la violation de cet article emporte un motif de nullité (art.14 de la directive)
  • La production d’un acte écrit devient une condition de validité pour inscrire une cession (art. 28 & 32bis du règlement), la suppression de la taxe pour cette inscription étant constatée.

2/ Adaptation du système de protection à l’ère du numérique :

  • La protection d’un modèle est accordée à l’apparence d’un produit, ou d’une partie de produit que lui confèrent les caractéristiques et intègre « le mouvement, les transitions ou l’animation des caractéristiques» article 2.3 de la Directive)
  • La protection d’un modèle est accordée à des produits qui ne sont pas incorporés dans des objets physiques: ainsi les interfaces numériques sont explicitement visées (article 2.4.b de la Directive)
  • Les avancées techniques dans la visualisation et la création de produits numériques sont prises en compte : à ce jour, la protection des animations n’est possible qu’en capturant des vues consécutives au sein de cette animation. Les nouvelles dispositions vont permettre de déposer un fichier vidéo et des images 3D (modélisation informatique – art. 26 .1 de la Directive).

3/ Lutte contre la contrefaçon :

  • L’adoption du signe Ⓓ pouvant être apposé sur les produits afin de signaler l’existence d’un dessin et modèle enregistré aux utilisateurs et dissuader la contrefaçon
  • L’alignement du système douanier européen adopté pour les marques aux Dessins et modèles : la retenue douanière sera applicable aux produits contrefaisant en transit par l’UE. Pour être plus précis, la résolution du Parlement du 14 mars mentionne : le transit, le transbordement, l’entreposage, les zones franches, le stockage temporaire, le perfectionnement actif et l’admission temporaire, également lorsque ces produits ne sont pas destinés à être mis sur le marché́ dans l’État membre concerné
  • Le déploiement croissant des technologies d’impression 3D y compris à l’aide de l’intelligence artificielle, est appréhendé par le nouveau texte en ce qui concerne les droits conférés par l’enregistrement, ainsi la définition de la copie illicite est clairement indiquée dans la directive et inclut : « la création, le téléchargement, la copie et le partage ou la distribution à autrui de tout support ou logiciel enregistrant le dessin et modèle en vue de permettre la réalisation d’un produit [dans le lequel le dessin ou modèle  est incorporé ou auquel il est appliqué]» (article 16.2.d de la Directive). Ainsi, l’objectif, une fois que ces dispositions seront incorporées dans le droit de chaque pays de l’UE, sera d’interdire la mise à disposition de tout support ou logiciel enregistrant le dessin et modèle, le fait de numériser ou de configurer une copie numérisée d’un produit via une imprimante 3D
  • Harmonisation entre la Directive et le Règlement par l’ajout de l’article 12 de la Directive sur la présomption de propriété en faveur du déposant ou du titulaire du modèle enregistré. Le modèle de l’UE non enregistré ne peut pas en bénéficier
  • Harmonisation entre la Directive et le Règlement par l’ajout à l’article 11. de la Directive à propos du créateur et de la présomption en faveur de l’employeur du créateur salarié, sauf convention contraire entre l’employeur et le salarié
  • La Directive propose aux États membres d’inclure dans leur droit la possibilité de revendiquer une utilisation de bonne foi, dans un État Membre, antérieure au dépôt (ou à la priorité) du DM
  • La possibilité pour les États Membres de prévoir une procédure administrative en nullité auprès de leur office national. Les conditions sont identiques ou quasi-identiques à celles existant auprès de l’EUIPO. La France a indiqué mettre en place une telle procédure administrative auprès de l’INPI et dispose d’un délai jusqu’au 9 décembre 2027 pour transposer cette disposition.

A contrario, la réforme crée de nouvelles imitations des droits du titulaire :

  • A l’égard des actes accomplis afin d’identifier un produit ou afin de faire référence à un produit comme étant celui du titulaire du DM (Art 18 Directive et Art. 20 Règlement) par exemple dans le cadre de vente de produits compatibles prévus par la clause de réparation ou la publicité comparative) ainsi que pour les commentaires, critiques ou parodies ;

4/ Favoriser l’économie durable : la clause de réparation

L’impact du concept de réparabilité, de durabilité et d’économie verte, plébiscités actuellement est intégré dans cette réforme grâce à la clause de réparation. L’économie circulaire, la réutilisation de pièces d’occasion ou de pièces moins couteuses a engendré une prise de conscience qui modifie la portée du droit jusqu’alors accordé aux titulaires de dessins et modèles en limitant son monopole et le droit d’interdire aux tiers de reproduire son produit.

Ainsi, l’article 19 de la Directive énonce une clause expresse de réparation qui prévoit que la protection ne sera pas accordée aux pièces de produits complexes dont le seul but est de permettre la réparation de ce produit en vue de lui rendre son apparence initiale. En revanche cette clause ne pourra être invoquée par le fabricant de cette pièce que si une mention claire et visible apparait sur le produit et informant le consommateur de l’origine du produit et de l’identité du fabricant.

Cette clause pourra donc être invoquée par le constructeur de pièces détachées si 4 conditions sont remplies :

  1. La pièce fait partie d’un produit complexe,
  2. l’apparence de la pièce est conditionnée par le produit complexe auquel elle est destinée,
  3. l’information du consommateur se réalise de façon claire et visible sur l’origine du produit et sa destination aux fins de réparation,
  4. l’identité du fabricant est clairement apparente.

Cette disposition est prévue pour devoir être adoptée par les états membres au plus tard 8 années après l’entrée en vigueur de la directive (soit jusqu’au 8 décembre 2032) et elle ne sera appliquée qu’aux enregistrements futurs.

Les dates à retenir :

La Directive et le règlement sont entrés en vigueur le 8 décembre 2024.

Le délai de transposition de la Directive par les États membres est fixé au 9 décembre 2027.

Le règlement sera applicable dès le 1er mai 2025 en ce qui concerne les dispositions sur les taxes (dépôts et prorogations), la clause de réparation (pour les nouveaux dépôts) et l’ajournement de publication.

Les dispositions concernant les moyens de représentation, la modification des détails insignifiants de la représentation, les dates de renouvellement (date anniversaire et non plus fin du mois anniversaire) et les inscriptions de licences, cession entreront en vigueur 18 mois plus tard, soit le 1er juillet 2026. Il faudra se référer au futur règlement d’exécution afin d’obtenir des informations plus précises notamment sur les modes de représentation et le formalisme exact des inscriptions.

Bilan :

Cette réforme était attendue afin de moderniser l’accès à la protection et pour permettre une meilleure représentation des créations à protéger. Les nouvelles dispositions sont tout à fait pertinentes et étaient attendues par les professionnels de la PI pour mieux protéger les droits de leurs clients.

Si une partie des objectifs fixés est atteinte, on peut relever que la réduction des coûts n’est pas exactement au rendez-vous. En effet, le montant des taxes de dépôt n’a pas été réduit, et s’il est maintenant possible de déposer un modèle multiple, même lorsque les différents modèles ne relèvent pas de la même classe de Locarno, le nombre de modèles au sein d’une demande multiple a été plafonné à 50. En outre, les coûts pour déposer en demandant l’ajournement sont élevés. Enfin le montant des taxes de renouvellement s’est envolé : 150 au lieu de 90 pour la 1ère prorogation, 250 au lieu de 120 pour la seconde, 400 au lieu de 150 pour a troisième et 700 au lieu de 180 pour la dernière. En outre, le délai pour renouveler est maintenant fixer à la date anniversaire du dépôt et non à la fin du mois.

Et l’IA dans tout cela ?

On peut regretter que l’impact de l’Intelligence Artificielle au moment de la création des nouveaux dessins et modèles n’ait pas été clairement évoqué dans cette réforme, à part dans les considérants 27 et 14 des résolutions qui vont générer respectivement la modification de l’article 16.2 de la Directive et l’article 19.2.d du Règlement, disposant de la portée de la protection octroyée par un enregistrement et interdisant la fabrication, l’offre, la mise sur le marché ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué.

Contrairement aux droits d’auteurs, les conditions de protection en U.E. des dessins et modèles n’imposent pas que les créations portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur puisque seuls la nouveauté et le caractère individuel importent pour statuer sur la validité du modèle de l’UE est concernée.

Si la question de la validité du modèle ne se pose pas, la création par l’IA peut en revanche soulever des questions sur la titularité des droits. Les dispositions des textes nouvellement validés rattachent l’acte de création à un « créateur » et parlent de « personnes qui ont réalisé conjointement le dessin ou modèle », de « salarié » et donnent le droit du créateur à être désigné lors du dépôt (article 18 du Règlement ; article 16.2 de la Directive) On devrait pouvoir en déduire que l’existence d’une personne physique, ayant la qualité de créateur est nécessaire, mais cela ne ressort pas expressément des textes.

Affaire à suivre donc…