Inventions utilisant des micro-organismes tels que les micro-algues : comment protéger ce patrimoine issu du vivant ?

Lors de sa création en 1988, le Groupe Vidon s’est établi en tout premier lieu sur les terres bretonnes, dans la région maritime de Saint-Malo, avant de se développer en France et à l’international. Du fait de cette implantation historique en bordure de la Manche, le Groupe Vidon a toujours eu à cœur de s’impliquer dans la protection des ressources biologiques marines et des dérivés marins qui incluent des micro-algues, catégorie de micro-organismes.

Les micro-organismes sont des êtres vivants, invisibles à l’œil nu, généralement unicellulaires. Ils comprennent, en particulier, les micro-algues, les bactéries, les virus, les plasmides, les champignons unicellulaires tels que les levures et certains protozoaires.

La protection des micro-organismes en tant qu’organismes vivants répond à quelques règles spécifiques. Cet article apporte, notamment, un zoom sur la brevetabilité des micro-organismes, et donc des micro-algues, devant l’Office Européens des brevets (OEB) et devant l’Office Américain des brevets (USPTO). L’approche française de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) en la matière étant très proche de celle de l’OEB, elle ne sera pas spécifiquement abordée[1].

 

L’approche de l’OEB

Un micro-organisme présent dans la nature qui est simplement découvert ne peut pas être protégé par un brevet d’invention s’il s’agit d’une découverte en tant que telle, qui est exclue de la brevetabilité[2].

Cependant, s’il est mis en évidence qu’un micro-organisme, bien qu’existant à l’état naturel, a un effet technique particulier, non encore connu, par exemple produit un principe actif d’intérêt particulier, le micro-organisme lui-même peut être brevetable comme étant un des aspects de l’invention[3]. En effet, un micro-organisme présent dans la nature et qui est isolé peut être valablement protégé s’il répond aux critères de brevetabilité (nouveauté et effet technique permettant de justifier d’une activité inventive et d’une application industrielle). La Convention sur le Brevet Européen (CBE) liste un certain nombre d’inventions biotechnologiques brevetables, parmi lesquelles figurent les matières biologiques isolées de leur environnement naturel ou produites à l’aide d’un procédé technique, même lorsqu’elles préexistent à l’état naturel[4].

Néanmoins, les variétés animales et végétales, telles que des variétés d’algues, obtenues par des procédés essentiellement biologiques, n’incluant aucune intervention technique directe sont directement exclues de la brevetabilité (contrairement aux plantes génétiquement modifiées, par exemple, qui sont brevetables)[5]. Les micro-organismes obtenus par des procédés microbiologiques ne sont pas concernés par cette exclusion[6].

Par ailleurs, lorsqu’une protection par brevet d’un micro-organisme est recherchée, il est souvent nécessaire de déposer un échantillon de cette matière biologique auprès d’une Autorité de Dépôt International (ADI) reconnue par le Traité de Budapest[7]. Dans certains cas, un tel dépôt est nécessaire pour répondre à l’exigence de suffisance de description, autre critère à remplir pour l’obtention d’un brevet européen[8]. Cette démarche est en particulier essentielle lorsque le public n’a pas accès au micro-organisme et qu’il n’est pas possible d’en faire une description écrite qui permette à la personne du métier de l’invention considérée de le reproduire techniquement et à l’identique[9].

Dans le monde, il existe cinquante ADIs, réparties sur une trentaine de pays. Chacune d’entre elles accepte certains types de micro-organismes, seulement. Dans le cas des micro-algues, leur dépôt n’est pas accepté par toutes les ADIs, et ne l’est notamment pas par la Collection Nationale de Cultures de Microorganismes (CNCM) de l’Institut Pasteur, qui est l’ADI compétente en France. En revanche, la CCAP (Culture Collection Of Algae And Protozoa) au Royaume-Uni et la BEA (Banco Español de Algas) en Espagne sont des autorités européennes qualifiées pour le dépôt et la conservation de micro-algues et l’ATCC (American Type Culture Collection) ainsi que la NCMA (Provasoli-Guillard National Center for Marine Algae and Microbiota) sont des autorités compétentes sur le territoire américain. Selon le traité de Budapest, tous les États partis au traité, qui comprennent notamment les états membres de la CBE et les Etats-Unis, reconnaissent dans une procédure en matière de brevets, les dépôts faits auprès de l’une des ADIs, indépendamment du territoire sur lequel elle est située.

Le dépôt d’un micro-organisme déposé auprès d’une ADI réalisé au plus tard à la date de dépôt d’une demande de brevet européen peut alors être utilisé pour définir le micro-organisme d’une invention à protéger et répondre au critère de suffisance de description. Il convient de noter que lorsque le déposant du micro-organisme et le déposant de la demande de brevet ne sont pas une seule et même personne, il est nécessaire de justifier à l’OEB que le déposant du micro-organisme a donné autorisation pour qu’il soit fait référence au dépôt auprès de l’ADI dans la demande la demande de brevet, et a consenti sans réserve et de manière irrévocable à le mettre à la disposition du public selon les Règles applicables[10]. Il est, cependant, prévu un accès restreint au micro-organisme, et ce pendant toute la durée du brevet correspondant : la remise d’un échantillon à un requérant[11] qui le demande est conditionnée par son engagement à ne pas communiquer à des tiers le micro-organisme ou un de ses dérivés et à n’utiliser ce dernier qu’à des fins expérimentales, sauf si le demandeur ou le titulaire du brevet y renonce expressément[12]. Le déposant d’une demande de brevet peut également restreindre l’accès au micro-organisme à un expert indépendant, jusqu’à la délivrance du brevet européen ou pendant 20 ans si la demande de brevet n’aboutit pas à une délivrance[13].

Aussi, un micro-organisme dans les revendications d’une demande de brevet européen peut être valablement défini de différentes manières qui peuvent comprendre : son numéro de dépôt auprès d’une ADI, son caractère isolé, sa ou ses séquences génétiques caractéristiques, une fonctionnalité, ou encore des caractéristiques structurelles et/ou fonctionnelles issues de modifications génétiques apportées au micro-organisme. Par ailleurs, d’autres produits ou procédés d’intérêt résultant de l’utilisation d’un micro-organisme brevetable ou non brevetable en tant que tel peuvent également être protégés, s’ils répondent aux critères de brevetabilité. Il peut s’agir notamment d’un composé produit par ou issu du micro-organisme (par exemple un biopolymère ou un actif particulier), un procédé utilisant le micro-organisme ou encore son utilisation, par exemple thérapeutique, cosmétique, en agriculture …

 

L’approche de l’USPTO

Seules sont abordées les différences majeures ayant trait à la protection des micro-organismes, par rapport à la pratique de l’OEB.

Aux Etats-Unis, les produits issus de la nature ne sont pas éligibles pour une protection par brevet[14]. Contrairement à l’approche européenne, un micro-organisme existant dans la nature, même isolé de son environnement, n’est pas protégeable par brevet aux Etats-Unis, dès lors qu’il n’est pas démontré que le micro-organisme dont la protection est recherchée présente des caractéristiques (structurelles, fonctionnelles ou autres) différentes de celles du micro-organisme présent dans son environnement naturel. Peu importe que la présence de ce micro-organisme dans son environnement naturel ou encore qu’une nouvelle propriété avantageuse de ce micro-organisme n’ait jamais été mise en évidence[15].

Par contre, un micro-organisme génétiquement modifié, ou un procédé utilisant un micro-organisme, ou encore une composition associant le micro-organisme à un autre composant qui procure un effet technique non décrit dans l’art antérieur peuvent être des inventions tout à fait brevetables[16]. Bien entendu, pour être brevetables ces inventions doivent répondre aux autres exigences de brevetabilité applicables aux Etats-Unis, que sont, en particulier, la nouveauté, la non-évidence et une description écrite suffisante.

Comme devant l’OEB, il est très souvent nécessaire de réaliser un dépôt auprès d’une ADI, pour avoir une description écrite suffisante. Il existe, cependant, certaines différences, concernant la date à laquelle ce dépôt auprès d’une ADI doit être réalisé et l’accès au micro-organisme :

  • Il est possible que le dépôt du micro-organisme auprès d’une ADI qui serait jugé nécessaire par l’USPTO pour fournir une description écrite suffisante soit réalisé après la date de dépôt de la demande de brevet américain[17].
  • Aux Etats-Unis, à partir de la délivrance du brevet américain, la seule possibilité pour le breveté de restreindre l’accès aux tiers d’un micro-organisme déposée auprès d’une ADI est d’imposer que la demande d’accès soit formulée par écrit par un tiers identifié et lui soit communiquée[18].

 

L’importance de signer des MTA

Quelle que soit la stratégie de protection envisagée, il est important que tout transfert d’un micro-organisme d’intérêt auprès d’une autre entité, dans le cadre de recherches, études ou collaborations, fasse l’objet d’un accord spécifique de transfert de matériel biologique (plus connu sous le nom de MTA pour « Material Transfert Agreement »). Un tel préalable, qui instaure un cadre de confidentialité, est essentiel pour éviter toute divulgation destructrice de nouveauté ou susceptible de remettre en cause la brevetabilité de l’invention qui pourrait être à protéger. Un MTA permet aussi de formaliser les droits sur les micro-organismes, les autorisations d’exploitation et de divulgation, et les obligations quant aux mentions devant figurer dans les publications scientifiques éventuelles qui peuvent être concédées.

Nos Conseils sont bien entendu disponibles pour tout renseignement complémentaire que vous pourriez souhaiter et pour vous accompagner dans la protection de vos inventions ayant trait aux micro-organismes, et notamment aux micro-algues, pour effectuer des dépôts auprès des ADIs et pour la mise en place de MTA.

 

Auteurs : Laure SARLIN (Conseil en Propriété Industrielle et Mandataire Agréé près de l’OEB, Responsable du bureau Rhône-Alpes) et Mélanie OLLIVIER (Ingénieur Brevet)

 

[1] dans le contexte de la directive de l’Union européenne 98/44/CE du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.

[2] selon l’Article 52(1) de la Convention sur le Brevet Européen (CBE).

[3] voir les Directives relatives à l’examen pratiqué à l’Office européen des brevets (DIR OEB) G-II-3.1.

[4] voir DIR OEB G-II-5.2 et Règles 27(a) à 27(c) CBE, qui reprennent les dispositions de la directive de l’Union européenne 98/44/CE du 6 juillet 1998.

[5] selon l’Article 53(b) de la CBE, conjointement avec la Règle 28(2) (voir aussi DIR OEB G-II-5.4).

[6] à noter que dans sa décision G 1/98, 5.2, la Grande Chambre de Recours de l’OEB a énoncé qu’à l’Article 53 b), l’expression « procédés microbiologiques » est synonyme de « procédés faisant appel à des micro-organismes » et que l’OEB traite les cellules et parties de cellules comme des micro-organismes – voir aussi DIR OEB G-II-5.5.1.

[7] Traité de Budapest

[8] le critère de suffisance de description est régi par l’Article 83 de la CBE.

[9] comme le dispose la Règle 31(1) de la CBE

[10] voir DIR OEB A-IV-4.1.

[11] Règle 33(1) CBE : À compter du jour de la publication de la demande de brevet européen, la matière biologique déposée conformément à la règle 31 est, sur requête, accessible à toute personne et, avant cette date, à toute personne ayant le droit de consulter le dossier en vertu de l’article 128, paragraphe 2.

[12] Règle 33(1) et (2) CBE.

[13] Règle 32(1) CBE (voir aussi DIR OEB A-IV-4.3).

[14] Article 35 USC 101 du US Code and Manual of Patent Examining Procedure (MPEP) 2106.

[15] https://www.uspto.gov/sites/default/files/documents/101_examples_1to36.pdfAssoc. for Molecular Pathology v. Myriad Genetics, Inc., 569 U.S. 576 (2013) “The Court held that the composition was not patent eligible because the patent holder did not alter the bacteria in any way.”

[16] voir notamment la decision Diamond v. Chakrabarty, 447 U.S. 303 (1980)

[17] 37 CFR 1.804 du Code of Federal Regulations.

[18] 37 CFR 1.808 du Code of Federal Regulations.