L’appréciation du risque de confusion : le cas particulier des marques pharmaceutiques en Europe. Comment juger du caractère disponible d’un signe dans un univers règlementé et encombré de signes similaires ?

Medicaments

L’appréciation du risque de confusion : le cas particulier des marques pharmaceutiques en Europe.

Comment juger du caractère disponible d’un signe dans un univers règlementé et encombré de signes similaires ?

 

(reproduction autorisée – pxhere.com)

Identifier la bonne marque signifie pour un laboratoire comme pour tout titulaire d’identifier un signe possible (notamment du point de vue règlementaire), attractif (distinctif) et également disponible.

Avec plus de cent milles marques inscrites au registre de l’EUIPO en classe 5, juger de la disponibilité des marques pharmaceutiques devient une réelle gageure.

Longtemps considérées comme spécifiques, les marques pharmaceutiques bénéficiaient d’une approche favorable de comparaison, du fait de l’application de critères de risque de confusion très exigeants.

Cette tendance évolue, et le principe de précaution en matière de santé publique semble s’imposer, imposant par la même occasion aux titulaires une différenciation forte entre les marques de médicaments.

Lors d’un conflit entre deux marques, le risque de confusion est évalué à l’issue d’une comparaison entre les produits en cause et des ressemblances visuelles, phonétiques et conceptuelles entre les signes, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants.

S’agissant de produits pharmaceutiques, le public visé se compose généralement des professionnels de santé et du grand public. L’évaluation du degré d’attention du public pertinent constitue un critère important dans l’appréciation globale du risque de confusion (I). Les marques pharmaceutiques ont par ailleurs ceci de particulier qu’elles sont souvent composées de préfixes ou de suffixes compréhensibles, à tout le moins du personnel de santé (II). Il est clair que par nature les marques pharmaceutiques touchent à un domaine précieux : la santé publique, ce qui influence les positions prises par les examinateurs ou les magistrats, dans l’Union, sur le risque de confusion (III).

 

 I. Le public pertinent et son niveau d’attention en présence de marques pharmaceutiques

Le public pertinent dans le cas des marques pharmaceutiques est généralement le suivant : il est composé du grand public et des professionnels de santé (médecins, pharmaciens).

En effet, « il est de jurisprudence constante que, lorsque les produits en cause sont des médicaments, le public pertinent est constitué, d’une part, des professionnels de la médecine et, d’autre part, des patients en tant que consommateurs finaux desdits produits » (Tribunal de l’Union Européenne, 9 avril 2014, affaire T-473/11, PENTASA vs OCTASA, point 24).

Il existe cependant des exceptions à prendre en considération, et par exemple le cas du produit vendu uniquement aux établissements de santé : alors le public pertinent sera restreint aux professionnels de santé.

En principe, le niveau d’attention du public pertinent est relativement élevé en matière de produits pharmaceutiques, que les médicaments soient délivrés ou non sur prescription (15/12/2010, T-331/09, Tolposan, EU : T :2010 :520, § 26 ; 15/03/2012, T-288/08, Zydus, EU : T :2012 :124, § 36).

Là encore, la jurisprudence apporte certaines nuances à cette règle générale en fonction du type de produit précisément visé et du traitement prodigué.

Par exemple, concernant les produits à visée ophtalmologique, l’EUIPO a considéré comme « moyen » le niveau d’attention du grand public (EUIPO, Décision sur opposition B 2 236 266 « ZERO / DISOP ZERO (fig) », 25 juin 2014).

Il convient donc de ne pas retenir le seul niveau d’attention élevé dans la caractérisation du risque de confusion, et ce notamment en considération du grand public qui est par principe moins averti et moins vigilant que les professionnels de santé.

En effet, « le public général peut être en situation d’acquérir ces produits de manière libre et non assistée, fût-ce lors d’opérations d’achat ayant lieu, pour chacun desdits produits pris individuellement, à des moments différents, et avec un niveau d’attention moins élevé : c’est pour cette raison que le risque de confusion peut être plus aisément caractérisé » (arrêts du 09/02/2011, T-222/09, Alpharen, EU:T:2011:36, §42-45;26/04/2007, C-412/05P, Travatan, EU:C:2007:252, §56-63).

C’est en ce sens que la Division d’opposition a récemment rappelé qu’en présence d’un public composé à la fois de professionnels de santé et du grand public « le risque de confusion doit être évalué en fonction de la perception du grand public, qui est plus enclin à la confusion » (EUIPO, Décision sur opposition B 3 057 938 « OMNIPOR / OMNICOX », 19 février 2020).

En matière de médicament, il est donc clef de différencier :

–           les médicaments OTC (Over The Counter),

–           des médicaments vendus sur prescription, et

–           des médicaments vendus à la seule destination des personnels de santé.

Moins la vente sera assistée ou professionnelle, plus le niveau d’attention du consommateur est en baisse, avec pour conséquence un consommateur davantage enclin à la confusion.

 

II. Le caractère distinctif des marques pharmaceutiques et son impact sur la comparaison des signes.

Classiquement, ce sont les représentations visuelle, phonétique et conceptuelle des marques qui sont prises en compte dans l’appréciation du risque de confusion en matière de marques pharmaceutiques. Pour mener à bien la comparaison des signes il convient de déterminer les éléments distinctifs et dominants (cf. Arrêt de la Cour de Justice du 11 novembre 1997, Sabèl/Puma, C-251/95, JO OHMI no 1/1998, p.91 paragraphe 23).

Or, la spécificité des marques pharmaceutiques naît du fait que leur signe est souvent composé en son préfixe ou suffixe d’un élément qui évoque directement soit le principal composant, soit la principale molécule soit la maladie ou le trouble, et qui se caractérisent ainsi de facto par leur caractère faiblement distinctif (voire descriptif).

C’est ici que la notion de public pertinent joue pleinement son rôle.

Il convient effectivement de noter que le grand public ne discerne pas automatiquement et immédiatement le lexique médical ou scientifique évoqué au sein des marques pharmaceutiques (souvent d’étymologie latine ou grecque). C’est à ce sujet que la Division d’Opposition s’est exprimée, estimant que la majorité du grand public se réfère aux maladies par leurs noms respectifs plus courants et que les termes techniques ne seront compris que par les professionnels ou une infime partie du public (EUIPO, Décision sur opposition B 2 800 681, « BLEPHASOL/ BLEPHASTOP », 30 janvier 2018).

Dans le cas d’un médicament OTC, il y a fort à parier qu’un suffixe évoquant la molécule contenue dans le produit sera considéré comme un élément distinctif.

Cette même nuance s’impose également dans le cas des marques contenant des termes reproduits en langue étrangère, qui ne seront pas immédiatement accessibles au consommateur grand public. En présence d’une marque de l’Union européenne il faudra prendre en considération l’ensemble du public sur ce territoire, dont la diversité linguistique est riche et non automatiquement anglophone.

La compréhension de l’élément évocateur pour un professionnel de santé doit être étudiée à la lumière du public pertinent sur le territoire de référence.

Ainsi, le caractère évocateur, voire descriptif, de certaines caractéristiques du médicament ne sera pas toujours accessible au consommateur final.

La comparaison des signes sur le plan visuel s’effectue selon des critères généraux et sur la base du raisonnement selon lequel le consommateur attache normalement plus d’importance à la partie initiale des marques, d’autant plus lorsque la terminaison de la marque dispose d’un faible caractère distinctif (TUE, Affaire T-321/18 « NOCUTIL / NOCUVANT, 6 mars 2019).

Sur le plan phonétique, il convient de souligner l’importance de la perception auditive de certaines marques pharmaceutiques (15/05/2012, T-280/11, Keen,13/12/2017, R 4/2017-2, Dermacy / DERMAZIN et al. 14 EU : T :2012 :237, § 39).

Encore une fois le médicament OTC se distingue ici : un poids plus élevé sera de la perception auditive du signe sera, compte tenu des pratiques d’achat généralement, attribué à l’analyse de similitude. Les produits sont commandés au comptoir, sans ordonnance support : le risque de confusion s’avère bien plus élevé compte tenu de cette pratique (15/12/2010, T-331/09, Tolposan, EU : T :2010 :520, § 61). Ainsi, la grande similitude phonétique des signes est pertinente (voir, par analogie, 01/06/2016, R 1207/2015-5, BIOZYME 1981 (fig.) / BIOSYM (fig.)).

Sur le plan conceptuel, la comparaison devra être logiquement opérée en tenant compte de la compréhension ou non des termes au sein des marques par le public pertinent sur le territoire concerné (cf supra).

 

III. Une appréciation du risque de confusion davantage complexe dans le cas particulier des marques pharmaceutiques

Il apparaît que le risque de confusion dans le cas des marques pharmaceutiques est initialement apprécié de manière plutôt restrictive, considérant que le public pertinent est doté d’un degré d’attention particulièrement élevé s’agissant de médicaments qui affectent sa santé.

Toutefois, cette rigueur se trouve nuancée par une jurisprudence qui peut apprécier plus largement le risque de confusion entre des marques pharmaceutiques. Cette tendance s’inscrit dans une démarche d’adhésion au principe de précaution, et vise à exclure tout risque confusion entre deux médicaments commercialisés sous des noms trop approchants.

A l’appui de ce raisonnement, est notamment soulevé l’argument posé par la Cour de Justice de l’Union Européenne selon lequel « le consommateur moyen n’a que rarement la possibilité de procéder à une comparaison directe des différentes marques mais doit se fier à l’image non parfaite qu’il en a gardée en mémoire » (22/06/1999, C-342/97, Lloyd Schuhfabrik, EU :C :1999:323, §26) :

A titre d’illustration, sont citées ci-après plusieurs décisions récentes de l’EUIPO concluant au risque de confusion entre marques pharmaceutiques nonobstant certaines différences entre les signes :

  • EUIPO, décision sur opposition n° B 3 089 128 « VITONO / VITOO», 28 avril 2020 ;
  • EUIPO, décision sur opposition No B 2 857 202 « DYNAMIN/ DAMIN», 28 avril 2020 ;
  • EUIPO, décision sur opposition No B 3 088 345 « OPOKAN / Opusan », 24 avril 2020 ;
  • EUIPO, décision sur opposition No B 3 080 570 « siken diet / Sykon », 22 avril 2020 ;
  • EUIPO, décision sur opposition No B 3 057 502 « NUTRAPHYT/ Nutrafix », 8 avril 2020.

Ces décisions reposent sur un argument commun selon lequel le public pertinent garde en mémoire un « souvenir imparfait » des marques en cause, et ce même nonobstant son degré d’attention élevé (16/07/2014, T-324/13, Femivia, EU : T :2014 :672, § 48 – voir également 21/11/2013, T-443/12, ancotel, EU : T :2013 :605, § 54).

Ces récentes décisions semblent faire état d’une nouvelle tendance qui s’affiche davantage favorable à reconnaître l’existence d’un risque de confusion.

Nous sommes à votre disposition pour évaluer les risques d’adoption d’une marque de médicaments, dans un panorama complexe de droits en présence.

 Signature CVE